27/07/2020 – Refuge MontRoig Enric Pujol => Refuge Fornets
Jour 19 : «Il n’y a pas de hasards, il n’y a que des rendez-vous.» – Paul Eluard.
Point culminant : Col de Calberante (2610m)
Distance : 14,8 km
Temps : ~6h30
Réveil tôt comme prévu et montée des trois lacs de la Gallina, qui s’enchaînent sous les couleurs rosées du soleil levant. Quelques passages où faut mettre les mains mais rien de très difficile. Juste suivre les cairns en zigzaguant entre les lacs.
La vue d’en haut sur l’enchaînement des trois lacs est très jolie et mériterait une longue pause lecture, surtout que j’en suis à un passage excitant de la Horde … Mais il faut avancer direction le point non défini de rendez-vous.
S’enchaîneront sur un sentier clair et agréable, deux vallées, des lacs, des pâturages, des chevaux, et entre les deux, le col de la Tartera.
Trois choix ensuite, je prends le mauvais col, celui un peu trop à droite et la redescente dans la vallée suivante se trouve plus difficile que prévue. A la place d’un sentier, un pierrier très inconfortable, très abrupt, des vires à désescalader, je suis à deux doigts de mettre la main sur une vipère aspic, que j’ai le temps de prendre en photo quand elle fuit dans un bosquet. La chaleur est étouffante, la vallée est longue … UN RÉ GAL !!! La progression est lente et incertaine, l’usage des bâtons est obligatoire mais peu pratique. Les genoux adorent !
C’est pas toujours une partie de plaisir … Pour le coup, cette étape sera la plus difficile en orientation et je pense que cette vallée ultra encaissée est très peu visitée.
Je finis cette descente par une forêt dense et accidentée où le sentier est squatté par un troupeau de vaches bien décidé à ne pas bouger, et ce malgré des demandes plutôt polies, en Français et en Espagnol.
Je n’ai croisé personne depuis mon départ du refuge.
A la sortie de cette forêt, une petite clairière, d’où surgit à ma gauche mon père, qui lui aussi s’était perdu, et à droite, ma mère et ma sœur, parties bien après, sacré synchro.
Le ruisseau est à deux pas, idéal pour le pique-nique. Après-midi en famille, à débriefer de nos quotidiens de ces dernières semaines.

Grâce à eux, je peux profiter d’un ravitaillement, de pouvoir décharger les photos et repartir avec des SD neuves. Déjà plus de 1000 clichés …
Je finis par passer la nuit dans un confort immense d’une banquette arrière de voiture, sous l’orage et les grosses gouttes. Trop la flemme de monter la tente et de devoir tout sécher et repaqueter le lendemain.
Faire sa liste de bouffe à ravitailler quand on a faim, c’est comme faire les courses quand on a faim … on a envie de tout et beaucoup.
Je repartirai alourdi de bonbons, de plats cuisinés non lyophilisés, et de divers greugnotages. Mais bon c’est le jeu du bivouac, si tu veux profiter en haut, faut porter.
28/07/2020 – Refuge Fornets => Baqueira
Jour 20 : «Les biens que le monde foisonne, il ne tient qu’à l’homme de les cueillir.» – Robert Mauzi.
Point culminant : Estanyolets de Garrabea (2389m)
Distance : 22,8 km
Temps : ~7h30
Le lendemain matin, nous quittons le refuge Fornets ( peu convaincus par leur accueil ) au lever du soleil.
Je vais pouvoir réaliser cette étape en léger et retrouver mes affaires le soir à la station de Baqueira. Vu que je revois ma famille ce soir, ils me convoieront le sac et je garde juste le nécessaire photo, solaire et pique-nique.
Après un peu de piste dans les ruelles pour trouver la bonne sortie, je quitte le village d’Alos d’Isil, très mignon, hors du temps, plein de petits détails sculptés sur les façades en bois. Il paraît désert et le seul bruit, hormis le chant des oiseaux, vient du clocher de l’église.

Mais de nouveau, le sentier qui sinue entre les terrasses de culture est difficile à suivre. Je sais que je dois longer le ruisseau et je finis par rejoindre entre sentier, piste et impro tout droit dans les chachis, l’Estany d’Airoto. Proche, le dôme triangulaire de son refuge trop beau. Il est entouré de champs entiers de myrtilles, et comme d’hab, je perds plus d’une demi heure, sac sur le dos, à faire ma cueillette, pour en ramener à la famille et à Laure.
Je vais tellement suivre les myrtilles que je vais me rendre compte, arrivé à un lac (Rosari d’Arreu), que ce n’est pas le lac sur ma trace (Estany de Garrabea) et que je suis beaucoup trop bas. Visuellement et frugalement, ça valait le coup. Mes babines violettes et moi-même ne regrettons RIEN. Je file donc tout azimut vers le lac prévu, hors sentier, ce qui me permet de surprendre une biche, aussi surprise que moi, qui faisait sa toilette.
Le dernier lac de la journée, l’estanyolets de Garrabea, avant la dernière montée, m’offre un bain tiède. Ce lac est plein de créatures, des gammares, des micro-écrevisses, des larves de libellules, quelques invertébrés que je ne connais pas et des créatures bizarres, pas du tout profilées pour la nage en tout cas. En me renseignant, j’apprendrai que les rotifères et crustacés jouent en effet un rôle d’épuration ou d’élimination de certains pathogènes. Leur absence peut se traduire par une prolifération d’algues, ou une mortalité accrue de certains amphibiens, touchés par un agent pathogène que le zooplancton, affaibli, ne parvient plus à éliminer…

Deux heures plus tard, après une dernière crête, je partage une bonne bière et un coca ( le combo de fin de journée ) avec ma famille et économise grâce à eux une descente à la ville pour ravitailler.
Leur visite et leur avis de randonneurs m’ont permis de prendre un peu plus de recul sur la dimension physique de l’effort.
Je récupère mon sac de bien plus de vingt kilos et les quitte, bien ancré au sol. Le vent peut souffler à plein de nœuds. Direction le haut des pistes de skis de Baqueira et la porte d’entrée des Encantats et du Val d’Aran. Le sac va être très lourd les prochains jours, car la vraie partie autonomie pour laquelle je suis chargé ne commence que dans quelques jours.
Le coucher de soleil est, abstraction faite des canons à neige, splendide. Je le vois disparaître derrière le pic du Midi de Bigorre, encore loin, mais plus grand que la dernière fois que je l’ai aperçu. Dans la vallée au-dessous de moi, une mer de nuages apparaît, vient me chatouiller les pompes, se retire entièrement et finalement revient à ma hauteur me souhaiter bonne nuit. Grandiose.
D’un côté, je peux juste distinguer le tracé des routes, grâce aux phares des voitures, au loin à travers la brume.
De l’autre, côté station, au loin les télésièges forment une partition musicale dans le rosé du soleil du couchant.
Je m’endors tente ouverte, la tête quasi dans les nuages, pour une symphonie sous les étoiles.

29/07/2020 – Télésiège de Baqueira => Colomers
Jour 21 : «Le lac, oeil du paysage.» – Victor Hugo.
Point culminant : lac de Cabidornats (2300m)
Distance : 19.4km
Temps : ~6h30
Le soleil de plomb me sort de la tente qui se transforme gentiment en sauna. Le temps de tout paqueter et je suis déjà en nage, et il est à peine 7h10 du mat’… Le sac me parait immense, fourrer encore quelque chose dedans parait impossible. Dehors par contre c’est possible, et des attaches externes pendouillent deux trois trucs, dont par exemple la paire de chaussettes de la veille, qui commence gentiment à devenir potentiellement une arme de défense. Pour la première fois, le sac dépasse au-dessus de ma tête.
La journée entame direct par une longue descente bien abrupte ou à flanc, un pur régal pour les genoux et les chevilles. Ayant tout le temps le reflex à la main, je n’utilise que peu les bâtons … Et les genoux n’aiment pas cette stratégie.
La bouffe stockée ne sera utile que dans quelques jours seulement, car pour le moment, je vais croiser des refuges régulièrement, donc va falloir s’habituer à ce volume et ce poids. Les chevilles votent rapidement pour des sentiers plats.
Je me retrouve à emboîter le pas d’un troupeau de brebis, et les chiens protecteurs font vraiment bien leur boulot. Impossible de les dépasser, de les contourner, je me fais constamment bloquer, aboyer dessus et montrer les crocs. Et ce jusqu’à ce que le berger apparaisse et qu’il me donne un laisser passer à grands coups de cris en espagnol, que j’espère destinés aux chiens.
Je continue ma descente jusqu’à l’entrée du Val d’Aran, sur un sentier qui me mène droit vers d’énormes tunnels, vestiges d’anciennes mines de zinc. J’y trouve un peu de fraîcheur, même beaucoup à vrai dire … En 10m, on perd 10 degrés. L’eau est à température pour descendre un bon pastis, mais à la place j’ai un bon pierrier à monter …
Cette zone, toujours côté espagnol, contient plus d’une centaine de lacs et laquets. De l’un à l’autre, je me balade en direction du refuge de Colomers. La végétation est sublime, les couleurs des lacs changent selon leur profondeur, du vert émeraude au bleu nuit, certains avec des ilôts, d’autres avec un patch d’herbes hautes jaunies par le soleil, tous sont splendides, chacun avec son petit caractère.

Le cadre ressemble un peu à la réserve du Néouvielle.
Le soleil, lui, reste vraiment violent et le secteur n’offre que peu d’ombre. Je prends mon ravitaillement au refuge de Colomers ( avec une dose supplémentaire pour le soir), et je monte profiter de la vue, et de la lecture sous la petite ombre d’un pin qui a idéalement emménagé là.
A la tombée de la nuit, je peux installer mon bivouac près du lac de Cabidornats. Je repense au paquet de bonbons. Alors certes, j’aurai moins de poids sur les épaules le lendemain, mais le shoot de sucre que je me prends va repousser considérablement le sommeil. Finalement, quoi de mieux qu’une balade digestive après une longue journée de marche ?

30/07/2020 – Colomers => Restanca
Jour 22 : «Et si c’était par désespoir que les cascades se précipitaient du haut des montagnes ?.» – Sylvain Tesson.
Point culminant : Port de Caldes (2 572 m)
Distance : 13,5km
Temps : ~4h
Cette deuxième étape dans le Val d’Aran suivra de nouveau le GR11 et ses traces blanc et rouge, des lacs, torrents, cascades, petits vallons escarpés, jusqu’à arriver au refuge de la Restanca… posé près du lac du même nom.
Difficile de décrire cette étape car tout est sublime, harmonieux, doux. Les couleurs, les formes des troncs, les reflets, les torrents, tout ! La chaleur m’a fait presser le pas.
De l’autre côté du lac d’arrivée, une grosse cascade s’y jette.
A peine arrivé, en commandant la traditionnelle bière et le coca de fin d’étape, je réserve le dîner au refuge.
La taulière m’informe que le refuge est complet et que si je souhaite poser ma tente, je ne peux le faire à proximité du refuge, mais doit au moins aller me cacher au lac supérieur. Bizarre comme stratégie mais bon …
Il me reste quelques heures à attendre, place au repos et à la baignade, et inversement. Trouver un coin d’ombre est délicat et il faut réajuster le placement du matelas toutes les 25mn.
Ça me laisse tout le temps d’assister à l’arrivée du nouveau recordman de Carros del Foc. C’est une boucle qui unit les 9 refuges de montagne situés dans le Parc National d’Aigües Tortes i Estany de Sant Maurici.
Parti de ce même refuge ce matin, un tour du val d’Aran côté espagnol, un trailer local l’a torché en un peu moins de 9h24. La chaleur est dingue et à le voir s’écrouler sur le sol frais du refuge, on sent qu’il a tout donné.
J’assiste aussi, un peu plus tard, à une ouverture plus vaste des vannes de la cascade alimentant le lac. Le lac supérieur alimente l’inférieur, le débit de la cascade double et le vacarme s’en ressent. Les bords du lac montrent le niveau ‘normal’ et le niveau actuel. Il y a bien 2 ou 3 mètres entre l’eau et la trace initiale, comme une mauvaise marque de bronzage. Il faudra malheureusement s’habituer à ce genre de tristes vues, sur le niveau des lacs bien plus bas qu’ils ne l’étaient les années précédentes. On sent la ressource très fragile.
Une fois le dîner terminé, je me rends compte que finir la soupière et se resservir quatre fois des pâtes n’était pas forcément le meilleur move, car j’ai une heure de grosse montée pour atteindre mon point de bivouac ( sans compter le retour pour chercher la frontale sagement restée à charger). Celui-ci se trouvera pas loin du lac supérieur.
Trois biches curieuses viennent checker ma tente, et s’enfuient. Leur cri est pour le moins troublant et peu élégant, on penserait à un autre animal plus énervé, comme des aboiements de chiens en lendemain de cuite. Ce seront les seuls animaux de la journée.
Dodo … sur le dos.

31/07/2020 – Restanca => Conangles
Jour 23 : «Si nous prenons la nature pour guide, nous ne nous égarerons jamais.» – Cicéron.
Point culminant : port de Rius (2 344 m)
Distance : 13,4km
Temps : ~6h
Pas de petit-déj’, encore rassasié de la veille, un simple café et un passage dans le ruisseau serviront de réveil. Je découvre, un peu surpris, sur le sentier devant moi, des marques sur les rochers : un trait unique et jaune. Je me dis naïvement que c’est un balisage HRP, plutôt discret voir absent depuis un moment.
Aussi discipliné que confiant, que surtout pas réveillé, je commence donc à le suivre sans trop me questionner sur la direction, mais trouve le lac suivant long à arriver. Il aurait dû apparaître dans la demi-heure et ça fait une heure que je marche. A la place d’un lac, je me retrouve au milieu d’un des pierriers les plus vaste que j’ai jamais vu, je sors le GPS.
Constat : je suis à deux vallons du lac, complètement vers le Sud, alors que je devrais être plus à l’Ouest ( cardinalement ), du coup je suis un peu à l’ouest (métaphoriquement).
Je me suis toujours posé la question d’où vient cette expression et si c’était pas en fait Christophe Colomb qui l’aurait inventé, se pensant en Inde … ‘ Putain, mais je suis carrément à l’Ouest en fait’. Ouais, Christophe Colomb parlait comme les jeunes des années 2000. Carrément en fait.
Après une heure d’efforts, à sauter de gros rochers en gros cailloux, deux petits cols un peu scabreux passés, je retrouve le chemin initial, mais loin en dessous. Ça m’aura valu une rencontre très proche avec une harde d’isards et leurs bébés. J’aimerais avoir leur vitesse sur ce genre de terrain. J’aimerais bien voir un isard avec un sac à dos aussi.
J’arrive au Lago Mar, bleu intense, majestueux avec son îlot central, mais bien au-dessus. La descente est plus que sportive avec l’inertie du sac à dos, et les hautes herbes glissantes.
Je finis par m’y rafraîchir avant d’attaquer un sacré mur qui apparaît devant moi, ce col me permettant d’accéder au haut plateau des lacs de Rius. Je sens le poids du sac et des rayons du soleil. Au col, l’étendue est immense, le vent pleine face, et la marche plutôt plane.
Je longe les lacs de Rius pendant une bonne heure et demie, à la recherche d’ombre, qui se fait extrêmement rare sur le coup des 14h. Je prends mon déjeuner les pieds dans l’eau, histoire de rafraîchir un peu la carcasse. Les nuages qui défilent vite forment d’énormes taches sombres sur les lacs. C’est beau.
Ce plateau finit sur une vaste vallée, perpendiculaire, où la route vers Vielha ramène côté français. Loin au fond, je vois le prochain sommet, mais cette fois-ci, pas le choix que descendre pour remonter.
La descente vers le refuge de Conangles sera très longue, et me ramène une énième fois en vallée, proche de la civilisation et du chant des moteurs 2 temps.

01/08/2020 – Conangles => Refugi de Mulieres
Jour 24: “Le chemin est long du projet à la chose.” – Molière.
Point culminant : Refugi de Mulieres (2360m)
Distance : 10.1km
Temps : ~3h
Bien installé dans un parc près du refuge, et assommé par la chaleur de la journée, je décide de prendre une matinée de repos et ne commencer la prochaine étape que l’après-midi.
Ça me permet de dormir tard ( un bon 8.30 … ), de faire la lessive, de se baigner dans le torrent, de lire, d’échanger avec le gérant du refuge, de faire un gros repas du midi en sa compagnie.
Il me raconte ses différentes vies, son service dans l’armée, son expérience et sa perception de la haute montagne, les sauvetages, parfois accompagné de chiens d’avalanches et les différentes anecdotes qui vont avec. Selon lui, les gens sont de moins en moins éduqués et respectueux de la montagne et le Bitcoin, c’est plutôt risqué.
Même si j’espère qu’il a quand même tort au fond et que le respect de la montagne remontera, les kilos de plastique ramassés sur mon chemin lui donnent raison …
Je décolle après le café de 16h, pour finalement m’approcher de la base du Tuc de Molieres, un des points culminants de cette traversée, à 3009m. Ce tuc n’a rien à voir avec l’auteur, ni avec le biscuit apéro.
J’avais prévu 1h30 de montée, mais c’était sans compter sur le kilo de framboises qui nous attendait, mon sac et moi, juste au bord du chemin. Des poignées entières !!! Et un goût divin.
A la tombée de la nuit, j’arrive à la capsule refuge de Molières. Ce refuge n’a rien à voir avec l’auteur.
Le refuge quasi plein et l’accueil glacial des occupants, conforte mon idée de profiter de la douceur de la température du jour, et dormir un peu en contrebas, près de l’Estanyot de Molieres et de ce qui a dû être, jadis, un glacier. Cet estanyot n’a rien à voir avec l’auteur.
En face de moi, le rempart que forme le Tuc de Molieres cache l’Aneto, je devrai le gravir demain avec quelques passages annoncés techniques.
La nuit est douce et étoilée, la grosse lune et les ombres projetées rendent ce massif encore plus … massif.

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