Après une longue année de travail dans le sud de l’Australie, il était enfin temps de prendre des vacances et de profiter de la liberté, de donner aux réveils à 5h un peu plus le sentiment d’aventure qu’un aller vers la cueillette de fleurs.
Les montagnes me manquaient tellement que le choix parut comme une evidence : le Népal. Ce pays a tant à offrir : paysages, culture, festivals, cérémonies, montagnes, randonnées, air pur, drapeaux de prière, faune, flore, odeurs d’encens et son beau peuple… Le Népal a une place particulière dans la culture mondiale, l’inspiration artistique dans la musique par exemple, dans les croyances, le fameux mouvement hippie, et bien plus encore… Je ne m’attendais à rien de particulier en réservant cet aller, je ne pensais pas me tromper au sujet de l’émerveillement, et je ne savais pas que cela allait être les deux plus beaux mois de ma vie.
En atterrissant à Katmandou, j’ai pu apercevoir par le hublot, au loin, une chaîne de montagnes massive éclairée par un coucher de soleil doré, et une immense ville apparaissant sous des fines voiles nuageux… D’habitude, je ne suis pas fan des grandes villes, surtout les grandes capitales asiatiques, trop bondées, trop bruyantes, trop oppressantes… Mais là, dès le premier pas hors de l’aéroport, j’ai de suite senti un charme indescriptible, une curiosité éveillée.
Collé à la fenêtre du taxi, je regarde les « vitrines » et les rues défiler devant moi dans une farandole de klaxons… On dirait que le chauffeur de taxi utilise le sien comme sonar et déduis la position des autres via leur réponse. Force est de constater que c’est une très vieille ville, qui, même en étant la capitale, ne souffre ( ou bénéficie selon les points de vues ) pas tant de l’évolution classique et de la construction d’un centre ville massif et high-tech. Ici, l’électricité ne fonctionne pas en continu mais par cycles de 6h selon les quartiers. L’essor du tourisme va cependant vite changer la donne.
Pendant deux jours, en attendant qu’Haru arrive de Thaïlande, j’ai juste erré, laissant tous mes sens s’éveiller. Se perdre dans le quartier de Thamel, visiter Durbar Square, goûter aux momos (raviolis) et au dhal-bat (riz-lentilles-curry de légumes, plat qui peut être servi à tous les repas) classique, marcher jusqu’au sublime temple de Swayambunath, sentir l’encens et les épices, observer la vie de la rue, les sons de klaxons et les cloches de pousse-pousses … Le troisième jour, il y avait LA grande fête au Népal, appelée Shivaratri, où tous les Népalais célèbrent la déesse de la destruction Shiva, pile quand Haru arrive, baptème du feu.
Une grande partie de la population a pour but de rentrer dans le plus grand temple de Katmandhu, Pashupatinath. Ce temple est le point de convergence de plus d’un million de népalais, venus y chercher des bénédictions. Une file indienne ( je comprends le nom maintenant vu leur discipline naturelle à de placer ) d’une personne de large et de plusieurs kilomètres de long est en place et quasi impossible a traverser. Notre guide local Ishwor profite de notre présence pour nous envoyer en briseur de cette barrière et pouvoir rejoindre le temple sans avoir à la contourner. Ils viennent aussi à la rencontre des Sadhus (ou Babas), religieux ascète et saintes personnes dans l’hindouisme. Ceux-ci ont élu domicile dans l’enceinte du temple, confectionnant des cabanes ultra rustiques, fumant des shilums à longueur de journée et transmettant leur expérience et la pensée hindouiste. Nous nous sentons tellement petits, les sens en alerte.
Ce rassemblement était incroyable et pourra facilement avoir sa propre histoire.

Malgré la ville surpeuplée, il règne une atmosphère paisible, il semble que tout les passants sont connectés. Leur culture, leur mode de vie et leur pouvoir d’achat les amènent à avoir des besoins élémentaires et à vivre dans l’instant présent. Par exemple, un fumeur ne possède pas de paquet, mais va acheter une cigarette au vendeur de cigarettes, l’allume et passe un moment avec lui, puis continue sa journée. Beaucoup de gens se mettent à l’aise et font une sieste paisible juste au bord de la route. Les femmes se réunissent dans des puits à ciel ouvert pour la lessive, pendant que les enfants jouent ensemble dans le quartier, et que les hommes se réunissent pour affaires ou simplement jouer au carrom.
Tous partagent leur ville avec beaucoup d’animaux et j’ai eu le sentiment que ces animaux, singes, chiens des rues, vaches sacrées, pigeons, faisaient vraiment partie de la société, peuplant les temples et profitant des offrandes de nourriture après les cérémonies. Les vaches avachies sur les étals de marché, tapant allègrement dans le stock de victuailles à vendre ne suscitent que sourires et situations cocasses… Plusieurs fois, nous nous sommes sentis en plein voyage dans le passé, étonnés et amusés par ce véritable chaos organisé et harmonieux. J’ai adoré mon étape à Katmandou, et à voir le doux sourire d’Haru dans son sari déambulant dans les rues, je vois clairement qu’elle adore chaque seconde.
Après avoir visité quelques villes à basse altitude, quelques jours dans la jungle de Chitwan au sud du Népal, il était temps d’atteindre Pokhara, situé au centre du Népal, juste adossée à la chaîne de l’Annapurna. Pour nous mettre en appétit, nous avons décidé de passer la nuit à Sarangkhot, une colline entre la ville et la chaîne de montagnes. Difficile encore de nous rendre compte qu’en face de nous, se dressent des cailloux de plus de 8000m de haut …Un dhal bat devant un coucher et un lever de soleil sur ces parois rocheuses majestueuses et des sommets emblématiques tels que Machapuchare (alias la queue de poisson, mais qui de ce point de vue ressemble plus à une tête de tigre), l’Annapurna I (l’un des 14 sommets de plus de 8000m), l’Annapurna II, III, et Sud, et bien d’autres.

Deux choix de trek nous intéressent : celui d’aller à Camp de Base de l’Annapurna I pour un voyage de près de 10 jours, aller et retour dans une vallée. Le deuxième choix était de faire le Circuit tout autour de cette chaine. C’était fin mars, la saison d’hiver presque terminée, pas trop de monde, mais encore des sections enneigées sur le chemin. Grosse envie de montagne … voyons-en un maximum et combinons les deux choix.
Informations utiles que nous avons obtenues avant de partir :
• Point culminant de notre trek : Thorong La Pass, 5314m d’altitude.
• Pas de danger significatif, trek long mais facile avec des randonnées annexes presque illimitées vers les glaciers, cascades, grottes, sommets …
• En raison d’une route massive entre Pékin et Mumbai, le circuit est endommagé par les travaux de construction. En discutant avec un Russe qui refaisait ce circuit après l’avoir fait il y a 20 ans, j’ai senti sa déception au vu de la progression de la route pour les camions. Un chemin alternatif est cependant disponible et évite au maximum la route, les bruits de camions, la poussière et donne plus de chance de voir et d’observer la vie sauvage. En règle générale, les premières étapes suivent complètement la route principale, c’est pourquoi nous nous sommes permis de sauter le 2 premières étapes officielles et tenter l’aventure en bus. Ce bus sert de taxi, de ramassage scolaire, de service de livraison pour les matières premières, meubles, charpentes, dans les villages de la vallée, de système de transhumance … Les chèvres, les poulets, la nourriture, les morceaux de taule et de bois se partagent le toît.
• Les permis de randonnée sont obligatoires, et vous pouvez demander à un guide ou à des porteurs de vous accompagner. Nous avons décidé de le faire par nous-mêmes, pour être plus libre du rythme. Ce trek peut être réalisé en 17 jours, nous y sommes restés 40 jours, repoussant au maximum le retour à la civilisation.
• Presque toutes les heures, vous pouvez trouver au moins une petite boutique ou une cabane, où un adorable habitant souriant vous propose du thé aux épices ou des biscuits à la noix de coco, ou un village où vous pourrez vous reposer pour un repas, ou une nuit, ou une vie entière.
• Il serait préférable d’aimer le plat le plus connu là-bas, le dhal bat, littéralement riz et lentilles (ce qui est passé de mieux en mieux au fil du trek).
Tout est prêt, enfin niveau matériel, on a encore quelques doutes, mais bon … il est temps de commencer la randonnée et le rêve !!!

De Pokhara en bus jusqu’à Bhulbule, et en avant pour marcher jusqu’à Ngadi où nos premiers hôtes sont venus nous accueillir à l’entrée du village, ce qui est un peu déroutant. En cette saison, peu de marcheurs passent ici, et les établissements sont quasi vides. Les touristes n’ont pas à réserver leurs nuits. Le plus souvent, les habitants vous laissent dormir gratuitement chez eux si vous y dînez et petit-déjeunez. Les pourboires sont laissés à la discrétion et la sensibilité du marcheur. Les premiers jours, nous avons respecté les étapes prévues, et les villages en objectifs. Mais très vite, on s’est rendu compte du bien-être du moment et du regret de quitter si rapidement des endroits, fermes, villages si fascinants. L’envie de s’imprégner davantage de leur mode de vie nous somme de ralentir la cadence. D’une part, nous envions ce mode si simple, tout comme eux pourraient envier le notre plus artificiel ( en vérité peu ont cette envie, ils ont fiers et satisfaits de leurs croyances ). D’autre part, cette vie est rude, ces vallées sont encore reculées et peu connectées à l’énergie ou au ravitaillement, et vivre aussi reculé, à avoir des touristes de passage dans votre arrière-cour tout au long de l’année, marchandant constamment et oubliant parfois les bonnes manières et le respect, doit finir par épuiser. Nous constaterons vraiment ceci dans la vallée du camp de base, ou des gros groupes débarquent dans les villages, avec juste un guide pour interface avec la population locale, et pensant avoir le confort occidental à 4000m d’altitude …
Nous avons privilégié les nuits dans les fermes plutôt que dans les hôtels, pour nous rapprocher de la population locale et proposer notre aide pour certaines tâches quotidiennes, lorsque nous avons décidé de rester plus d’une journée.
Notre premier objectif était la ville de Manang, s’élevant à 3519 m. Dix jours sur les berges de la rivière Marsyangdi et sa couleur jade d’eau de glacier. A maintes reprises, nous l’avons traversée par des passerelles suspendues, plus ou moins récentes, parfois longues de plus de 100m et toutes décorées de drapeaux en prière. Et vous pouvez sentir l’inertie du pont tandis que d’autres marcheurs marchent/sautent/dansent dessus.
Les premiers matins, encore bas dans la vallée, nous avons croisé le chemin de nombreux écoliers, en route pour les cours. Pour eux, vêtus d’uniformes et d’un immense sourire, le trajet scolaire est long, avec plus de deux heures de marche par jour. Une fois rentrés, ils aident leur famille aux travaux de la ferme, ou dans la maison/auberge. La randonnée est le moment idéal pour courir, jouer, rire, nouer des relations et des histoires. Certains guident leurs petits frères et sœurs, d’autres descendent un petit groupe de bétail au village suivant, ils semblent que l’effort physique leur est presque insignifiant.
Encore plus impressionnants, les sherpas locaux et leurs chargements aussi volumineux que lourd, que j’ai voulu essayer de porter. C’est en fait une sorte de gros colis avec une sangle reliant les côtés, cette sangle étant mise en place sur le front du porteur. Le poids peut aller jusqu’à 60kgs. J’ai pu le soulever, et à peine le porter sur juste quelques mètres, au risque d’y laisser une cervicale, ce qui les a fait beaucoup rire (eux le font sur des dizaines de kilomètres à la journée).

Au début, la vallée est assez large, peu d’arbres, une altitude basse et une végétation basse, et beaucoup d’agriculture. Les paysans locaux ont creusé le flanc des montagnes en terrasses pour faire pousser des cultures. Ils sont fiers de leur dhal-bat fait maison, et ils le peuvent.
Puis la vallée se rétrécit, les flans deviennent plus abrupts, des cascades rejoignent la rivière principale et les chemins deviennent un peu plus raides. Comme le climat est humide et chaud, la nature prospère anarchiquement, et sur le coup de Septembre/Octobre, les randonneurs traverseront des champs de cannabis ça et là, et j’en connais probablement un ou deux qui installeront leur bivouac à cet endroit.
La fraîcheur des eaux venues des glaciers est la bienvenue en fin de journée, avec son effet cryothérapie, et son vacarme constant et berçant. Nous montons à travers des forêts de pins et de sapins de moyenne altitude, le paysage se métamorphose de campagne à montagne. Nous pouvons déjà apercevoir de hauts sommets, chatouillant le ciel derrière notre vallée. Le premier remarquable est le Manaslu, le 8ème plus grand sur Terre avec ses 8163m d’altitude. Sa crête enneigée a l’air massive mais comme elle est assez éloignée, on ne peut pas se rendre compte à quel point elle est majestueuse. Le second sera l’Annapurna II, presque 8000m de haut, 7937m pour être exact.

En traversant une passerelle, nous l’avons vu apparaitre, solide, imposant, massif, majestueux. A Ngawal, après avoir vu nos premiers yacks, nous avons passés le déjeuner ( je vous laisse deviner le menu) hypnotisés par la face nord de l’Annapurna II. J’ai essayé visuellement d’imaginer le chemin jusqu’en haut. Crêtes exposées, grands séracs et glaciers. Mon cerveau a vraiment du mal à traiter l’information verticale. C’était bizarre de s’asseoir à 3000m d’altitude, de faire face à un bloc immense, et de se rendre compte que le sommet que l’on voit est 5 kilomètres plus haut. Une de ces situations où vos jambes ne peuvent pas faire confiance à 100% à vos yeux. Pendant quelques jours, nous aurons cette barrière rocheuse massive de 7000m de haut le long de notre chemin. Le prochain sommet impressionnant est le Gangapurna lorsque nous arrivons à Manang. Ce village y est planté au milieu de la vallée, au bord d’un lac turquoise.
Ce lac se remplit par les eaux fondues de la géante langue glaciaire du Gangapurna. Journée de repos à explorer les environs, nous nous sommes approchés de ce glacier pour observer sa grandeur. On sent que c’est vivant. De temps en temps, nous pouvons entendre de gros craquements et voir des plaques de glace de la taille d’un autobus s’effondrer et être poussées vers en avant. Certaines parties ont une lueur turquoise, les petits laquets éphémères ici et là. Des crevasses sont visibles partout. Elles sont larges et sombres, ce qui signifie sûrement profondes. Être un point sur cet océan de glace est l’un de ces moments où vous vous sentez minuscule, insignifiant et vulnérable. De là-haut, le village de Manang surgit derrière le lac, et comme tout est fait de pierres et de bois, il s’intègre magnifiquement au paysage. Ici et là, on aperçoit des drapeaux de prière et des temples qui égayent ce paysage de sable jaune. De là à Muktinath, dans la partie descendante après le col, ce sera la zone la plus haute et la plus sauvage de notre trek.
Au delà de l’effort et de l’émerveillement des yeux, il était important pour nous de partager le plus possible avec les locaux. Ils m’impressionnent en vivant là-bas, dans des conditions si dures et si éloignées. En utilisant nos compétences limitées en népalais, notre anglais commun, nos signes et nos dessins, nous avons pu apprendre et partager des histoires, des questions et participer le temps d’un instant à la vie de famille. Parfois en prenant soin du bétail, en aidant à la cuisine. Une fois, j’ai proposé à notre hôte Hasri de m’occuper de la vaisselle, et j’ai été surpris de sa réponse : je n’y arriverai pas … Allez .. laver les assiettes et les fourchettes .. Je pense que c’est largement dans mes cordes … Cela se passait à l’extérieur, ils ont creusé la pente afin de détourner la rivière et avoir de l’eau courante dans tout le village. Après une seule assiette propre, j’ai abandonné, les mains enflées et rouges phosphorescentes, mordues par l’eau glacée. Il faisait BEAUCOUP TROP FROID. Hasri s’est moqué de moi et a pris ma suite. J’ai regardé ses mains, je les ai prises dans les miennes et je ne pouvais pas croire ce que je ressentais. Elle avait une peau douce et belle, foncée mais super épaisse, comme du cuir. Corps adapté aux intempéries et au travail extérieur… J’étais subjugué par tout ce qu’elle pouvait faire en une seule journée, et réussir à prendre le temps de brosser les cheveux de sa mère, dans une complicité harmonieuse et un sourire comme dessiné.
Le chemin classique du Circuit suivrait le chemin tout droit jusqu’au col de Thorong La, mais nous avons décidé d’aller voir l’un des lacs les plus célèbres et les plus hauts de la planète, le lac Tilicho (4949m), posé au pied de son sommet. Une équipe de plongeurs russes y a plongé en 2000, pour la plus haute plongée jamais enregistrée, et n’a trouvé aucun organisme vivant à l’intérieur. Le chemin entre Manang et le camp de base de Tilicho est un pur joyau. C’est ce qu’on appelle le Landslide, littéralement le Glissement de Terrain et le nom convient parfaitement. Une pente à 45°, faite de minuscules cailloux glissants, avec un petit chemin transversal au milieu, la rivière étant à plus de 500m en dessous de nous. Une chute entraînerait une glissade loooongue et désagréable. Il slalome entre des rochers géants, parfois même à travers eux, et est long de plusieurs centaines de mètres.

Arrivés au camp de base, après avoir rencontré le maitre des lieux, nous sommes aller poser nos sacs dans la salle commune, plongée dans l’ombre. A peine l’interrupteur de la lumière poussé, deux énormes cris de plaintes, nous demandant de l’éteindre. Deux malheureux Israéliens souffraient de cécité des neiges, avec deux énormes cocards noirs, comme deux très vaillants boxeurs … Ils sont montés au lac, la veille, sans lunettes de soleil et ils nous ont prévenus que le chemin est FUULL neige. Ils ont terminé leur randonnée presque aveugles, et ils essayaient de récupérer au plus vite pour retourner voir un médecin à Manang…
A les entendre, ça a l’air d’être juste atroce. Et ils doivent retraverser le Landslide, voyant à peine… Ils pensent devoir se reposer encore longtemps. On les escortera après notre randonnée, le lendemain.
Après un bon dhal bat, un frais mais superbe coucher de soleil, il est temps de nous plonger nous aussi dans le noir. Nous avons commencé la montée au lever du soleil et sommes arrivés au lac pour déjeuner. Cinq heures de marche sur la neige, de zigzags sur la pente raide nous ont donné faim. Un énorme morceau de fromage de yack local acheté à Manang et quelle vue !! Le tout sous un ciel bleu clair et un soleil revigorant … Sa chaleur équilibrait parfaitement l’air frais et la brise qui soufflait. A notre gauche, un immense mur escarpé, tout blanc et gelé, la face nord du pic Tilicho (7134m). A son pied, plus d’un kilomètre plus bas, se trouve le lac gelé, avec un manteau neigeux parfaitement plat et vierge. Il existe un moyen, en contournant le lac, de rejoindre Jomson plus rapidement, mais avec ces conditions et sans skis ou raquettes, c’est peu possible.
C’était difficile de se déscotcher de cette vue tant ce paysage était magique. Le chemin du retour s’est fait beaucoup plus vite. A côté des lacets, un énorme couloir de neige permet de tous les descendre, en glissant sur nos fesses. L’angle est parfait pour avoir assez de vitesse, pour revenir à 8 ans, mais surtout, pour pouvoir s’arrêter à la sortie qui nous intéresse et ne pas prendre un bain improvisé dans une rivière à 2°C. 1h30 plus tard, nous prenions notre goûter quotidien, thé chai et biscuits à la noix de coco, constatant que nos amis israéliens étaient partis …

De retour sur les pistes du Circuit, nous sommes arrivés à Yak Kharka sous notre première tempête de neige. Nous n’avons vu personne ce jour-là. Juste nous… Jusqu’à un détour non voulu, en suivant des bouquetins sauvages, où nous sommes arrivés à une ferme. Deux frères prenaient une bière, discutant de qui irait au prochain village (30mn de marche) pour acheter des Kukuris (cigarettes népalaises). Quand ils nous ont aperçus, ils sont directement venus nous demander « de l’aide » et nous avons pu leur donner quelques clopes. Ils nous ont invités pour une bière et nous ont expliqué leur vie là-bas. Ils aidaient toute la vallée dans les travaux de menuiserie mais la saison était basse, ils avaient donc des jours de repos et d’alcool. J’ai été assez amusé par un petit drapeau basque flottant au sommet d’un arbre de leur arrière-cour. Le lendemain matin, une fine couche de neige embellissait la vallée, et le brouillard ne permettait pas de voir la suite du chemin, un moment idéal pour se reposer, reprendre des forces et faire quelques lectures paisibles. A cette moment là, je lisais Shantaram, qui décrivait certaines scènes que j’ai vécues à Katmandou. Nous restâmes de longues heures assis sur la grande table centrale en bois, au-dessous de laquelle on rajoutait de temps à autre du bois brûlant et des braises. La chaleur était bienvenue et délicate.
L’ascension en était à sa dernière marche. La prochaine cible est le col, un peu plus de 1000m plus haut depuis notre camp, avec un choix à faire. Soit en traversant d’un seul coup, jusqu’à Muktinath en faisant 4000m -> 5400m -> 4000m. Cette option est très longue, et la météo est incertaine, donc nous pourrions être pris au piège dans une tempête, étant en pleine neige et nous ne voulons pas prendre de risque.
La seconde option est de dormir au pied de la dernière montée, au camp de basse altitude vers 4300m. Cela allongera notre journée suivante, mais peut prévenir le mal de l’altitude et nous assurer une nuit confortable. La troisième, dormir au camp d’altitude proche du col, vers 4800m. C’est le choix que nous avons fait, nous sentant bien à la montée et en profitant de nos passages, les jours de repos, jusqu’à 5000m pour nous habituer à l’altitude. Le paysage perd sa couleur verte, le ciel est complètement gris et le contraste des rochers est fort. Finie la végétation, place aux rochers massifs recouverts de glace et de stalactites, des plaques de neige ici et là, et une progression lente dans les éboulis. Le vent souffle assez fort contre nous, le froid commence à être sérieux. Cela fait du bien de revenir à nos limites et de goûter à l’alpinisme de haute (mais facile) montagne. Pendant nos pauses, nous nous asseyons et regardons les gens et le paysage. Certains randonneurs retournent au camp bas en raison de maux de tête et de vertiges. Je me suis senti surpris quand j’ai vu des rochers en mouvement, je me suis demandé si je n’avais moi aussi pas le mal de l’altitude, mais en me rapprochant, j’ai pu comprendre que le rocher en mouvement était en fait un chukar népalais, un oiseau de la famille des faisans, qui peut supporter le froid et l’altitude, et vivre dans la caillasse. Cela a concentré mon attention sur d’autres oiseaux, des corbeaux de montagne. Ils ont vraiment l’air d’apprécier leurs vols et de le faire juste pour le plaisir. S’élevant facilement, et soudain un piqué du nez, les ailes bien collées au corps, comme des torpilles noires. Nous pouvions entendre le sifflement quand ils passaient près de nous.
Le campement élevé est assez encombré et nous y avons vu les yacks les plus gros et les plus poilus de tous les temps. Ceux-ci sont massifs, placides et vraiment sympathiques. Ici et là, des corbeaux tirent les poils du yack pour améliorer leurs nids, mais le yack ne semble pas s’en soucier. La nuit était froide mais plutôt bonne. C’est juste bizarre et un peu effrayant de sortir de la chambre pour aller aux toilettes et juste devant la porte, une silhouette massive attend dans le noir. Je n’étais pas prêt pour ça, mais une grosse maman yack se reposait là et ne s’est pas déplacée entre ma sortie et mon retour, et ne m’a surement pas calculé… Nous avons commencé la randonnée sous un clair ciel étoilé, avec les premières lueurs du matin. De grandes pentes enneigées devant nous. En regardant derrière, le camp devenait plus petit et nous pouvions imaginer notre chemin avec les frontales des randonneurs plus matinaux. Le froid a gelé ma barbe, mes cheveux et mes sourcils. La neige était suffisamment épaisse pour nous permettre de marcher en toute sécurité et de trouver le chemin simplement. Nous sommes arrivés après 3h au col, où une explosion de couleurs de drapeaux de prière gisait dans la neige, autour du célèbre panneau du sommet. Le col est assez large, une hutte locale nous attend avec du thé chaï chaud, et la hutte de toilette la moins tolérable de tous les temps.
Le col de situe entre des pics avec des séracs massifs qui leur sont attachés. Si l’un d’eux décide de rompre, ça serait rapide. La montée s’est parfaitement déroulée, le corps se sent bien, les muscles et les articulations se sont habitués à l’effort et au poids, et l’esprit est totalement libre. Encore plus maintenant, le plus dur est derrière nous. Nous pouvons déguster des bières et du vin. Quelques centaines de mètres après le col, nous avons une vue dégagée sur la vallée de Muktinath et la partie sud de la région du Mustang, qui borde la Chine. Ce fut l’un des trajets les plus longs que nous ayons eus, ~ 700 m D+, ~ 1500 m D- et un peu moins de 20 km.
Assez rapidement, nous apercevons des cultures, des habitations et des bruits de klaxons se font entendre … Retour à la civilisation.

Nous avons passé trois jours entre Muktinath et Kagbeni, deux villes sacrées connues pour leurs eaux sacrées et leurs pèlerins. De ce côté de la vallée, la piste pour 4×4 et bus monte très haut, et permet aux pèlerins les plus riches d’arriver plus rapidement. Nous avons marché pendant une journée en direction de Mustang, mais nous avons été rappelés par des gardes locaux. Le Mustang est l’un des derniers royaumes du Népal, même s’il est fédéré avec le pays global, il faut un visa pour y entrer. Le prix du visa est complètement fou, 50$/jour/personne, avec les frais d’entrée. Ca a l’air tellement sauvage …
Quitte a rester à la porte, autant en voir le plus possible, et grimper le plus haut sommet du coin pour se dégager la vue. Un gros tout droit en face de Muktinath et une crête semble faire l’affaire. Résultat, après 2h de marche, une meilleure vue sur les canyons du Mustang qui a l’air incroyablement beau. Les couleurs sont si douces qu’on a l’impression de faire face à un paysage d’un Walt Disney. Une longue ancienne langue de glacier, maintenant pierreuse, s’engouffre dans un large canyon. Au milieu de ce canyon, quelques maisons troglodytes, creusées dans la paroi rocheuse. Les gens y vivaient il n’y a pas si longtemps, ce siècle… Difficile à croire.
Redescendus à 3500m d’altitude, le climat change, nous sommes de retour dans une végétation courte, où les chèvres et yacks peuvent passer une vie facile, aux côtés des majestueux Chevaux du Mustang. Le matin, nous déambulons dans les villes, observant les pèlerins faire leurs ablutions et leurs rites sacrés dans les eaux sacrées, nettoyer leurs vêtements ou eux-mêmes, au mileu des enfants qui jouent et les éclaboussent… A Kagbeni, nous avons rencontré un fermier qui possédait une maison d’hôtes et nous a invités pour un thé. Nos chambres seront autour de la cour centrale en bas, vide, avec une échelle pour y descendre. Il nous a dit que ce n’était pas son tour de s’occuper des chèvres, mais celui d’un autre éleveur. Ses chèvres étaient les bleues et donc elles avaient une marque de peinture bleue sur la tête. Une seule personne monte pour amener le bétail dans les pâturages, emportant toutes les chèvres du village. Intelligent. Il nous a amené voir comment est fabriqué le fromage de yack, et faisait vraiment attention à son emploi du temps. En chemin, il nous a présenté la célèbre statue de la ville, représentant courageusement la virilité, la force et la puissance. une statue aux proportions généreuses, et une finesse dans le détail. Mais bon pas le temps de s’attarder, il faut bouger, vite.
Tous les jours à 17h, des hommes se rassemblent près de la rivière, dans un parc, pour jouer ensemble et miser de l’argent. Ils ont tous fabriqué leur propre arc et leurs flèches, et tirent sur une cible de 10 cm avec une distance de 30 m. On se rend pas compte, mais ce concours est, pour eux, quelque chose de vraiment sérieux. Certains arrivent avec des plumes supplémentaires qu’ils échangent entre les tours, d’autres s’isolent pour se concentrer. C’est vraiment une affaire sérieuse. J’ai demandé à notre hôte de tirer une flèche, pour essayer, mais j’ai compris par son fameux hochement de tête népalais. C’est d’accord mais ça le dérange un peu. J’aurais aimé toucher droit dans le mille, mais ma flèche est montée trop haut et s’est coincée sur un toit… Cela a réglé encore plus ma condition de simple spectateur. Cela s’est avéré être une mauvaise journée pour notre hôte, qui a perdu ses paris, mais est resté confiant pour le lendemain. Il nous a ramenés après le coucher du soleil à la maison d’hôtes, nous avons dhalbaté et appris plus de choses sur la vallée. Il est temps de dormir. Quelle surprise, quand avec notre frontale, nous avons illuminé le sous-sol pour atteindre notre chambre, et que avons pu constater qu’il y avait maintenant près d’une centaine de chèvres à tête bleue allongées en bas, en train de nous regarder. C’est parti pour saute-mouton … Et en entrant dans la chambre, nous avons remarqué qu’à chaque fois que nous allumions la lumière de la pièce, les chèvres bêlaient. OSS 117 goal style. Trop tentant, 2 fois, 3 fois … 7 fois … Jusqu’à ce que nous remarquions le fermier nous regardant depuis la fenêtre de sa chambre …

La prochaine cible était Tatopani et ses thermes en plein air là-bas que nous attendions avec impatience. Le chemin descend lentement, au milieu des forêts de sapins, longe de larges rivières, et nous sommes revenus à une altitude où se trouvent beaucoup de cultures. Champs en terrasse, aux couleurs allant du brun au vert. Dans les fermes, on peut voir des couples, l’un en face de l’autre en quinconce, fauchant dans un rythme parfait.
Depuis cette région, on aperçoit le Daulagiri, un autre 8000m+, qui sort au milieu de la chaîne de montagnes d’en face. Les fortes pluies et le brouillard dense nous font marcher plus vite. Nous avons à peine visité Jomson, c’était une ville trop grande pour nous maintenant… Nous nous sentions mieux dans la nature.
Tatopani, une bonne journée de repos. Nous avons confirmé notre volonté de rester en dehors des grandes villes, pas de retour direct à Pokhara, mais enchaîner avec l’Annapurna Base Camp Trek. Le fermier nous a emmenés aux thermes et nous sommes restés là pour le reste de la journée. Les familles viennent se laver et se détendre, les enfants jouent et sautent dedans. Parfois un yack vient voir ce qui se passe, stoïque. Qu’est-ce qu’un yack peut trouver stimulant…? Le circuit touchait à sa fin, rejoignant le circuit du camp de base de l’Annapurna à Bamboo, deux jours plus tard. On croise beaucoup plus de gens, allant au trek de Poon Hill et explorant la vallée, plus accessible rapidement depuis Pokhara. Le côté sauvage de notre voyage était presque terminé…
Nous avons déjà parcouru environ 300 km, y compris les randonnées secondaires et les détours. Tant de sommets, de temples, de levers et couchers de soleil incroyables, de rivières et de sons d’oiseaux, de sourires et de belles personnes, d’odeurs de forêt et d’air frais… Pureté. Et une envie de rebrousser chemin.

A Bamboo, arrivés le soir dans un gros brouillard, finie la descente, et il était temps de remonter. Notre étape de demain vers l’Annapurna Base Camp était de passer de 2000m à 3000m en une journée. Quand le brouillard s’est levé, le matin et que nous avons constaté que la montée commence par des escaliers qui plongent sur presque 500m de dénivelé, nous savions que ce serait une dure journée… Ce sera pour la prochaine histoire… où le Macchapuchare ressemble vraiment à une queue de poisson …
