» DUM DUM DUM ! Le train entre en gare de Banyuls, 2mn d’arrêt ! Banyuls !!! «
Le visage collé à la fenêtre de ce train pris en gare de Perpignan, j’ai tranquillement pu me réveiller en regardant le paysage défiler. Des vignes, de la végétation basse méditerranéenne, quelques éoliennes, des ponts signés d’immenses graffitis, souvent bien plus immenses que réussis, un reflet qui s’avance vers moi en me demandant mon billet de train … Au loin, tout doucement, se dévoile le début de la partie Est de la chaîne des Pyrénées, dont j’ai pu voir la silhouette se dessiner jusqu’au Canigou, premier gros sommet à franchir.
9 Juillet 2020, 9h30 du matin, 28°C affichés à la pharmacie du coin.
Je pose mon pied sur le quai, le jour J est enfin arrivé. Direction la plage de Banyuls-sur-mer! Assez cocasse de passer un séjour à la montagne en partant d’une plage, pour finir sur une autre …
Je ne connais que trop bien la plage d’arrivée, 410 kms à l’Ouest à vol d’oiseau, celle d’Hendaye, où je jouais cul nu à fabriquer des montagnes de sable une trentaine d’années auparavant.
J’en suis parti en covoiturage quelques jours avant, avec cet excitant projet de traversée des Pyrénées par la HRP, la Haute Route Pyrénéenne. De la même manière que pour le train, la tête collée à la fenêtre à regarder les sommets et m’imaginer un tout petit point dans cette immensité.
Cette traversée était présente dans ma tête depuis quelques années déjà. Marcheur et passionné de montagne depuis ma jeunesse, né au pied des Pyrénées, j’ai l’impression que la randonnée et la montagne ont toujours fait partie de moi. J’aimerais savoir le nombre exact de randos à la journée, de bivouacs, de kms parcourus et de paires de chaussures usées en montagne…
Le GR Sud de Nouvelle Calédonie et le tour des Annapurnas au Népal m’ont donné le goût de la traversée géographique, de couvrir des longues distances, de partir plusieurs semaines, de se sentir minuscule, de voir le paysage changer en faune et flore, en odeur et relief, en roche et couleur, …
De toute façon, une fois le nécessaire de bivouac et de cuisine mis dedans, qu’on parte un ou cinquante jours ( si on dispose de points de ravitaillement bien sur ), le sac est sensiblement le même !! Et j’ai l’impression que plus le sac est lourd, et plus l’esprit est léger.
Et la légèreté d’esprit, en cette période d’été 2020, il en fallait quelques bonnes grosses doses. Le contexte de cette année, vivre dans un cercle d’un km de circonférence, devoir remplir un papier pour sa sortie quotidienne, avancer masqué … l’envie de reconnecter avec la Nature et le sentiment de Liberté ont accéléré la préparation et il était temps de passer à la réalité.
Quelques objectifs au passage :
Encaisser l’effort physique global, passer plus d’un mois en bivouac, mieux connaitre mes montagnes natales, prendre le temps, prendre des photos, ressentir la poésie contemplative du Pyrénéisme comme j’ai pu l’entrevoir dans les reportages sur les frères Ravier ou dans des ouvrages d’Henri Beraldi …
Et peut-être, le plus humblement du monde, mettre ma pierre à cet édifice en tentant de sublimer cette chaîne de montagnes par quelques clichés et ressentis. Voici l’énoncé de l’exercice :
« L’idéal du Pyrénéiste est de savoir à la fois ascensionner, écrire, et sentir. S’il écrit sans monter, il ne peut rien. S’il monte sans écrire, il ne laisse rien. Si, montant, il relate sec, il ne laisse rien qu’un document, qui peut être il est vrai de haut intérêt. Si – chose rare – il monte, écrit et sent, si en un mot il est le peintre d’une nature spéciale, le peintre de la montagne, il laisse un vrai livre, admirable. »
Première étape : le choix de l’itinéraire.
Gros dilemme : Ai-je envie de commencer par la section Ouest que je connais déjà et aller vers l’inconnu ? Ou ai-je envie de revenir boire l’apéro chez les parents et revenir vers les amis ?
Soleil de face ou soleil dans le dos ?
GR10, GR11, HRP ?
Ayant eu le temps, pendant le confinement, de potasser les forums pour diverses informations, mon choix sera finalement de partir de Banyuls en suivant la HRP, plus simple niveau logistique, en cette année spéciale où on n’est pas à l’abri de devoir repartir s’enfermer à la maison.
Cette route sera plus sauvage, car plus haute. Moins de ravitaillements, car moins de descentes en vallée et donc plus de poids sur les épaules, le but étant d’être le plus autonome possible. Mais possiblement plus d’animaux, une vue plus dégagée et une alternance France/Espagne, des idées de grandes voies à escalader, le package complet. Une fois la trace faite sur la carte, le sens Est-Ouest paraît plus attrayant.
Ci dessous en rouge le tracé GR10, en bleu la HRP prévue, et en violet des variantes de la HRP permettant de possibles échappatoires ou des contournements selon la météo.
Deuxième étape : La préparation.
L’été précédent, lors d’une boucle de deux jours dans le massif du Marboré, j’ai pu avoir une discussion très intéressante avec un guide de haute montagne. Il me confirmait que la Montagne était devenue de plus en plus fréquentée, mais par des gens de moins en moins préparés, de moins en moins connaisseurs. Et c’est pas le rayon rando des deux Décathlon visités il y a peu qui vont dire le contraire…
Le confinement a au moins pour avantage de m’avoir laissé du temps pour pouvoir planifier les grandes lignes de la traversée.
Tout d’abord, découper les étapes en identifiant les refuges de passage / bivouac / repas. En déduire les sections d’autonomie en nourriture et les points de ravitaillement, les zones de recharge en eau. Identifier les trajets de sortie, en cas de fin prématurée. Ensuite, reporter ce macro-trajet en trace GPS et la rendre disponible sur le téléphone hors ligne. Mon choix s’est arrêté sur l’application Iphigénie, basée sur de l’IGN.
42 étapes, 42 jours, 41 bivouacs prévus initialement.
Après … Je me connais … Cet itinéraire ne sera pas l’itinéraire final au gré des rencontres, des avis, des animaux, de la météo, mais il est rassurant d’avoir un fil conducteur et une trace fiable en cas de météo difficile, comme les gros brouillards de la vallée d’Aspe, ou une grosse période d’orage d’un côté de la chaîne …
Les 410kms à vol d’oiseau se mettent gentiment à grossir pour arriver plus près des 800km à pied … Ça va encore bien user les souliers cette affaire-là.
Je ne me rends pas compte de l’effort physique que cela demande, aussi chargé, aussi long, mais je ne me suis jamais vraiment questionné sur le fait d’être prêt ou pas. Je pense clairement que cet objectif a fait passer plus facilement les séances de workout en intérieur, les squats et autres pendant le confinement. L’avantage de n’avoir pas vraiment de date de fin à respecter était de pouvoir adapter le rythme selon les envies, les ressentis et les signaux du corps.
Il faut ensuite lister le matériel et le labéliser entre Indispensable / Confortable / Potentiellement Utile, Inutile …
Puis peser, tester, enlever, peser, tester …
Eléments retenus :
Sac Millet 80L | Paire de chaussettes techniques x2 |
Chaussures montantes Salomon | Paire de bâtons |
Tente MSR | Tapis de sol accordéon Quechua ( PIRE IDÉE DU PROJET ) |
Popote + réchaud + Gaz + Quart | Couteau |
Pantalons + shorts techniques x2 | Caleçons, T-Shirts techniques x3 |
Casquette / Lunettes / Crème solaire | Bonnet / Gants / Tour de cou |
Matériel photo + drone | Carte IGN / Boussole / Sifflet |
Gourdes 1,5L x2 + Micropur | Tenue imperméable |
Frontale | Trousse à pharmacie |
Polaire | Portable |
Kindle | Chargeurs + batteries |
Eléments non retenus :
Piolet & Crampons.
Ces éléments n’ont pas été retenus pour des raisons de poids, et du fait que je partais tard dans l’année. C’était un pari que je n’aurais pas fait plus tôt, je me projetais aux passages les plus enneigés vers mi-août. Je n’aurai la réponse sur l’utilité de ces deux éléments pourtant du domaine de l’indispensable en haute montagne, que lorsque je découvrirai le col de la Literole, les Gourgs Blancs et le massif de l’Aneto.
Le verdict tombe : 12,5kgs sans nourriture, ni eau, ni drone. Celui-ci ne peut être utilisé que sur certaines portions hors parc nationaux, ni proche d’aérodromes.
Je sens qu’au début de la portion entre l’Andorre et Gavarnie, le sac va être vraiment lourd …
____
Je me dirige donc vers mon point de départ, la plage de Banyuls-sur-mer.
Le Soleil est déjà haut au-dessus de la Méditerranée, l’air est déjà chaud. Un doux vent Marin, frais et iodé s’engouffre dans les ruelles ocres et étroites de ce joli petit village.
Sur mon chemin, je croise des mamies étendant le linge, des papys revenant du marché, d’autres ayant trouvé sur leur route un verre de vin blanc sur une terrasse, des locaux pressés allant embaucher, des touristes étrangers photographiant les façades, un chien extrêmement mignon avec son bandana rouge, des plagistes matinaux mais pas trop, dont un qui doit surement avoir une cabine à UV à la maison … Et une boulangerie où je peux profiter de deux grosses chocolatines avant de laisser la civilisation derrière moi.
J’aperçois le club de plongée de mes débuts. J’ai autant de poids sur les épaules que pour une plongée, mais ce coup-ci c’est vers le haut que ça se passe.
Je repère le panneau de départ du GR10, qui est commun avec la HRP au début et prends le temps de me poser sur les galets, armé d’un café et de mes deux chocos, face à la mer.
J’observe un jeune homme avec un backpack en train de s’approcher de l’eau avec une petite bouteille remplie de sable, et le vois le verser dans l’eau. Je m’approche, regardant son rituel …
C’est du sable qu’il a transporté depuis Hendaye, un symbole. Il me raconte brièvement son GR10, les paysages, l’effort, les rencontres, l’enneigement, les restrictions sanitaires et les habitudes de certains refuges … Il est débordant d’enthousiasme, de fierté, et de bonheur … ainsi que d’un brin de soulagement. Un énorme smile collé sur son visage bronzé. Ça me booste.

Il n’est pas loin de 11h et, malgré le vent venant de la mer, je sens que la montée va être éprouvante.
Le soleil est de plomb, les nuages sont absents, le ventre est rempli, les gourdes sont pleines, la photo du panneau de départ est dans la boîte … Bon .. Ben … A TAAAAAABLE !
La suite ici : https://damienferbos.fr/hrp-pyrenees-orientales/
